Réflexions libres sur le conclave
- Clément Barré
- 28 avr.
- 3 min de lecture
Puisque cela me travaille et que je suis en repos, j’ai essayé de formuler quelques réflexions dans la perspective du conclave. En soit, elles n’engagent que celui qui les fait et il n’est pas dans le secret des échanges des cardinaux et peut donc être complètement à côté de la plaque. L’idée est d’essayer de réfléchir aux enjeux de la succession du pape François et aux questions que cela pose en élargissant l'horizon par rapport au seul héritage écologique et social.
Le premier point qui semble important, c’est que les cardinaux se connaissent peu. Le collège a été renouvelé aux 2/3 lors du précédent pontificat mais les cardinaux n’ont pas eu d’occasion de se retrouver tous ensemble pour échanger et travailler. Le fait d’avoir posé la date du conclave 48h après la date minimale va dans ce sens. Les cardinaux ont besoin de se parler librement, plus librement que ne le permet le cadre strict du conclave. Ce point, qui est à mettre au débit du défunt pape et qui complique significativement la tâche des cardinaux (ainsi que des vaticanistes), s’explique sans doute par sa manière particulière de gouverner.
La théologie du peuple, dont se réclamait le pape François, a pu le conduire à adopter une forme de populisme dans sa manière de gouverner : dénonçant les élites ecclésiastiques (on se souvient du discours sur les maladies de la curie et de la dénonciation incessante du cléricalisme) et voulant nouer un lien personnel avec le peuple de Dieu (compris hors de sa hiérarchie). Paradoxalement, le pape de la synodalité fut aussi celui d’un exercice très monarchique du pouvoir, légiférant beaucoup par motu proprio (sorte de 49.3 ecclésiastique) et faisant peu appel aux instances de la curie. Il est probable que cet élément joue aussi un rôle dans le choix de son successeur. Cela semble faire consensus tant chez les cardinaux de curie que chez les évêques de terrain que la mission du pape doit s’exercer de manière moins solitaire.
Au-delà de la pratique du pouvoir, sur le fond la question de l’héritage de François est aussi clé. Il a ouvert beaucoup de pistes importantes pour la vie de l’Eglise, et ces pistes ne peuvent être abandonnées ou balayées d’un revers de la main. Mais il faut aussi reconnaître que le magistère du pape François est trop autoréférencé (François étant bien souvent le premier auteur cité de ses propres écrits) et donc clos sur lui-même par rapport au reste du magistère.
Parce qu’il y a de nombreuses choses très positives à reprendre du pontificat de François. Entre autres : l’aspect prudentiel du discernement moral d'Amoris Laetitia (à mieux articuler avec l’organisme des vertus et le versant objectif de la loi morale) ; la focale sur l’évangélisation d'Evangelii Gaudium (qui mériterait une petite teinte eschatologique) ; la promotion (insuffisamment mise en valeur) de figures de sainteté qui peuvent éclairer la manière de la vivre dans le monde de ce temps dans Gaudete et Exsultate ; la valeur du discernement communautaire (mais avec un énorme travail quant à sa mise en œuvre).
Ces intuitions prophétiques et évangéliques, pour survivre à son pontificat, vont devoir être assimilées dans le grand organisme de la Tradition de l’Eglise, relues et accueillies à la lumière de celle-ci dans une véritable herméneutique de la continuité.
Je pense que cela pose deux questions concrètes sur la gouvernance et le style du prochain pape : D’une part le devenir des dispositions de “Praedicate Evangelium”, la constitution apostolique qui réorganise le fonctionnement de la Curie et qui est un texte taillé par et pour François mais qui lui semble tellement lié qu’il est difficile de penser qu’il ne sera pas reformé dans les années à venir sur plusieurs points : la primauté du dicastère pour l’évangélisation, le fait que le pape en soit le préfet, la possibilité pour un non-évêque d’être chef de dicastère et en conséquence de tout ça, le renforcement du pouvoir personnel du pape.
D'autre part le devenir des membres importants de la Curie mis à cette place parce qu’ils sont des intimes du Pape François, à commencer par le Cardinal Fernandez, préfet du dicastère pour la doctrine de la Foi, qui ne jouit pas d’une popularité débordante parmi les papabile (le fait même que le préfet de la DDF ne soit pas parmi les papabile les plus cités est déjà en soi révélateur). Mais aussi de certaines instances spécifiquement mises en place par François, comme le C9 (conseil discrétionnaire de cardinaux réfléchissant à la réforme de la Curie) ou dont il a significativement modifié le fonctionnement comme le synode des évêques.
Avec tout cela, et en gardant à l’esprit que ce n’est que l’avis d’un pauvre prêtre français, prions l’Esprit Saint pour ce conclave et pour les cardinaux qui le composent. Qu’ils puissent donner à l’Eglise le pape dont elle a vraiment besoin.
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