La douleur et le dégoût
- Clément Barré
- 6 mai
- 3 min de lecture
Deux événements de l’actualité qui s’entrechoquent. Le premier, c’est le suicide de Sébastien. Il avait été agressé par un prêtre quand il était enfant et, alors que son agresseur devait être jugé à l’automne, celui-ci est mort d’une crise cardiaque. Sébastien avait compris qu’il ne verrait jamais la justice des hommes ; dans un geste terrible, il s’en est remis à celle de Dieu.
Dans le même temps, des mines réjouies de députés s’affichent un peu partout. Une victoire historique, disent-ils. Cette victoire : l’adoption en commission du projet de loi sur le suicide assisté. Un projet de loi maximaliste, expurgé de toute forme de garde-fou, allant plus loin que toutes les autres législations sur le sujet. Un projet de loi qui veut punir celui qui découragerait le malade de mettre fin à ses jours, mais ne punit pas celui qui l’y pousserait. Un projet de loi eugéniste et mortifère pour une société toujours plus individualiste, utilitariste et nihiliste.
Le choc de deux événements. Combien de ceux qui demandent le suicide sont comme Sébastien ? Ils portent une douleur physique, certes, mais qui est d’abord celle de l’abandon, du désespoir, de la perte de sens... C’est bien souvent la lassitude, la fatigue, l’impression que tout est perdu, qu’ils n’ont plus d’horizon, plus rien à vivre et qu’ils ne sont qu’un poids pour les autres, qui les poussent à demander la mort. Qui peut comprendre qu’on essaie de dissuader celui qui veut sauter d’un pont, mais qu’on encourage celui qui veut s’empoisonner à l’hôpital ? Y aurait-il, à l’image des chasseurs des Inconnus, des bons et des mauvais suicides ?
Sébastien s’est suicidé. Réalité crue, brutale, dépouillée de toutes les litotes et les euphémismes de l’ADMD et autres bourgeois assoiffés de sang, qui enveloppent dans le discours la réalité de la mort pour mieux pouvoir l’administrer. Ce suicide, ce n’était pas un acte de liberté, pas l’affirmation de son autonomie ultime. Non, c’est le prolongement de l’œuvre de son agresseur, car la mort lui a été donnée le jour où on a abusé de lui. Cette agression, c’était un meurtre à retardement.
Quand on accompagne des personnes victimes d’agressions sexuelles, le suicide est une réalité omniprésente. Beaucoup le contemplent comme une porte de sortie possible : la fin de leur souffrance, de leur trauma, le calme, le silence enfin... Ne plus sentir sur soi les mains de l’agresseur, ne plus entendre sa voix dans chaque murmure, ne plus voir son visage dès qu’on ferme les yeux. C’est aussi une réalité qui habite les proches des victimes : le sentiment de culpabilité, la honte, la tristesse... Ces sentiments qui les habitent et les motivent sont finalement les mêmes que ceux des personnes en fin de vie qu’on laisse mourir sans les accompagner : tristesse de la solitude, honte de la dépendance, sentiment de culpabilité, douleur permanente... Pas de différence fondamentale ; s’il est acceptable de tuer les uns, alors très vite, on en viendra à tuer les autres.
Que fera-t-on quand ces victimes demanderont le suicide assisté ? Pour plusieurs, c’est déjà le cas, avec l’aide d’associations complices qui facilitent leur départ en Suisse ou en Belgique. Un faux sourire compatissant, une rapide injection, et voilà que le médecin aura mené à son terme l’œuvre de l’agresseur. Les députés qui ont prétendu s’intéresser au sort des victimes de Bétharram pour ensuite voter cette loi sont des menteurs, car en votant cette loi, ils posent tranquillement les conditions de possibilité de leur exécution.
À plusieurs reprises dans mon ministère, j’ai reçu des personnes qui contemplaient le suicide, pour certaines de manière très vague, pour d’autres de manière bien plus concrète. À chaque fois, j’ai essayé de prendre le temps d’écouter leur souffrance, de l’accompagner, de la porter avec elles, de la soulager si je le pouvais... Finalement, ce que font, pour les malades, les services de soins palliatifs : prendre en charge la douleur le mieux possible et accompagner la personne dans son épreuve. Vais-je tomber sous le coup du futur « délit d’entrave au suicide assisté » si je dis à ces personnes qu’elles ont encore un horizon et un avenir ?
Mais voilà, les libéraux athées célèbrent leur ultime transgression, tandis que les mutuelles se réjouissent des plus-values à venir. La solution à la crise de l’hôpital public est trouvée : on tuera, puisque l’argent, le temps et le personnel manquent pour soigner. Les plus petits, les plus vieux, les malades, les handicapés paieront le prix, encore une fois.
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