Depuis plusieurs semaines, sur la chaîne C8, est diffusé une émission de téléréalité intitulée « Bienvenu au monastère » qui met en scène des « people » vivant une retraite spirituelle. Dès le début de sa diffusion de nombreux problèmes ont été pointés à la fois dans le fonctionnement de l’émission (paradoxe de filmer une retraite spirituelle qui est par nature un moment de retrait), dans les communautés choisies pour y être représentées (St Jean et les béatitudes qui sont les deux communautés les plus gangrenées d’abus du paysage ecclésiastique français), et aussi dans ce qui est montré à l’écran (voyeurisme spirituel, phénomène d’emprise etc.). Pour tout cela je vous renvoie aux threads publiés sur X par le collectif « Réparez » rassemblant des victimes d’abus au sein de la communauté St Jean [1] et à la tribune de Sr Anne Lécu op. publiée dans le Journal « La Croix » [2].
Il n’est pas rare que les textes que propose la liturgie entrent en relation avec l’actualité du monde et, il m’a semblé, en méditant l’évangile de ce dimanche que le texte permettait de répondre de manière assez étonnante à ce que cette émission propose.
Un évangile déroutant
Un lépreux qui se présente au pied de Jésus pour implorer une guérison et Jésus le guéri. C’est une scène classique de l’évangile, vue et revue mille fois. Mais le texte prend une tournure singulière après la guérison du lépreux.
Le texte grec est plus explicite que la traduction liturgique : Jésus gronde en lui-même (ἐμβριμησάμενος) et jette dehors (ἐξέβαλεν) le lépreux avec ce commandement « garde toi de n’en rien dire à personne mais va te montrer au prêtre et offre au sujet de ta purification ce que Moïse a demandé, pour leur en être témoignage ».
Mais le lépreux purifié n’obéit pas. A peine sortit, le voilà qui « proclame beaucoup de choses » (κηρύσσειν πολλὰ) et qui « divulgue la parole » (διαφημίζειν τὸν λόγον). Cette désobéissance entraîne une conséquence immédiate pour Jésus : il ne peut plus entrer dans les villes mais doit se retirer au désert et de partout on vient vers lui. Alors que quelques versets plus haut Jésus disait « allons dans les villages, c’est pour cela que je suis sorti » (Mc1, 38), le voici empêché d’accomplir sa mission.
La lèpre maladie du mélange et de la confusion
Dans l’Ecriture, toutes les maladies ne se valent pas. La lèpre est une maladie de l’impureté, c’est-à-dire du mélange. La confusion principale est celle entre la vie (la chair saine) et la mort (la chair nécrosée) qui cohabite dans le corps du lépreux. C’est aussi une confusion entre le visible et le caché : sur le corps lépreux l’intérieur (la chair, le sang etc.) et l’extérieur sont confondus, ce qui est secret est exposé à la vue de tous.
La question de la limite, de la démarcation, du refus de la confusion est fondamentale dans la théologie biblique, puisque l’œuvre créatrice de Dieu passe précisément par l’imposition de la limite : Dieu sépare la lumière et les ténèbres, les eaux du dessus et les eaux du dessous, la terre et la mer, les plantes et les animaux selon leurs espèces etc. La loi elle-même est donnée au peuple élu comme une limite entre la vie et la mort (cf. Dt 30, 19).
La lèpre vient précisément contrecarrer cette œuvre de Dieu qui sépare et fixe les limites, c’est pour cela qu’il ne s’agit pas de guérir d’une lèpre mais d’en être purifié. C’est-à-dire de revenir à la séparation, à la distinction que Dieu impose.
Il n’est pas difficile de faire un parallèle entre les phénomènes d’emprises ou les agressions sexuelles dans l’Eglise et la lèpre car dans l’emprise spirituelle et l’agression sexuelle s’installe les mêmes confusions : confusion entre la vie et la mort quand on utilise des choses bonnes pour exercer son pouvoir sur l’autre (le silence, l’accompagnement spirituel, la règle, les sacrements etc.), confusion entre le visible et le caché (intrusion dans le for interne, dévoilement et profanation de l’intime, chape de silence et de secret sur les abus subit etc.). Les abus sont une forme de lèpre, une confusion générale induite par un principe malin fait pour anéantir l’œuvre créatrice et vivifiante de Dieu.
L’émission « Bienvenu au monastère » participe de cette même logique. Le principe même de la téléréalité est lépreux puisqu’il donne à voir sous le nom de réalité ce qui est une mise en scène, tout en cachant la réalité véritable (caméra, script, producteur etc.). Mais plus encore quand ce concept s’invite dans un « monastère », et au cœur même de la vie spirituelle des « retraitants », voulant dévoiler aux yeux de tous ce que Dieu a voulu garder secret. De plus, les analyses du collectif « Réparez » mettent bien en lumière comment vie et mort se mélangent quand le silence et l’accompagnement spirituelle sont détournés de leur nature bonne pour être utilisé dans des abus d’autorités et créer des phénomènes d’emprises.
Lèpre physique et lèpre spirituelle
Finalement la question que nous pose l’Evangile est de savoir si ce lépreux à bien été purifié. Le texte est clair sur l’affirmation que la souillure physique a disparue. Pourtant l’attitude du lépreux montre qu’il n’est toujours pas sorti de sa confusion.
Comme signe de sa guérison, Jésus établit une frontière entre ce qui doit être caché (« ne le dit à personne ») et ce qui doit être visible (« va te montrer au prêtre ») et le renvoi à la loi de Moïse qui est précisément la limite donnée par Dieu entre vie et mort. Une manière de conduire le lépreux à reprendre sa place, sortir de l’état de séparation d’avec le corps social que lui imposait sa lèpre pour intégrer pleinement le peuple de Dieu. La purification est donnée pour l’adoration en premier et pour le témoignage en second et cela dans le cadre de la loi, de la limite que Dieu fixe.
La désobéissance du lépreux est en faite une autre forme de lèpre, non plus physique mais spirituelle. Un refus de sortir de la confusion en retournant à l’adoration et à la loi. Le lépreux « proclame » et « divulgue », contre le commandement de Jésus. Il sait lui-même mieux que Jésus ce qui doit être proclamé et comment le faire. Il ne marche plus dans le désert en criant « impur, impur ! », il courre dans la ville en criant « pur, pur ! ». Dans sa confusion, il continue à montrer ce qui devait être caché (l’œuvre intime de Dieu dans sa vie) et à cacher ce qui devait être montré (l’obéissance à la loi, l’adoration, l’écoute de Jésus). Et dans sa proclamation se mélangent vie et mort : ce qui se veut témoignage de l’œuvre de Dieu conduit à faire obstacle à la mission du Christ.
Proclamation ou communication
Comment ne pas penser en lisant cela au narcissisme dans lequel l’Eglise et nous même tombons trop souvent. Il s’agit de se montrer, de s’afficher, de montrer que nous somme « cool », ou que nous sommes les meilleurs, que c’est chez nous qu’est le bien, que ça marche.
Alors on multiplie les témoignages de guérisons et de conversions à la limite entre le voyeurisme et le narcissisme. En pensant « révéler les merveilles de Dieu » voici qu’on étale sur la place publique « le secret du Roi » (cf. Tobie 12, 11). Les pécheurs convertis qui autrefois se refugiaient dans le secret et la pénitence sont exposés à la vue de tous sur la scène de Paray le Monial comme autant de prises de guerre, nouvelles stars du catholicisme. On roule des mécaniques en multipliant les grands rassemblements pour cacher que nos églises sont vides…
Il est évident que l’émission « Bienvenu au monastère » participe de cette logique. Pour restaurer une image ternie par des décennies d’abus, plutôt que de retourner à l’adoration et à l’obéissance. Plutôt que de faire pénitence, de « rendre grâce au Seigneur en confessant mes péchés » (psaume de ce dimanche), St Jean et les Béatitudes s’engagent dans une opération de com’ pour se refaire une pureté. C’est la grande lessiveuse : C8 lave plus blanc ! Mais en multipliant les signes de pureté extérieure, ils ne font que révéler qu’au fond ils sont toujours lépreux. Tel les pharisiens que Jésus qualifie de « sépulcres blanchies », l’extérieur est tout beau, mais au-dedans ça sent la mort, et l’émission le montre très bien.
En cela, il est parfaitement biblique que ce soit Clara Morgane, ancienne actrice de films pornographiques, qui joue le rôle de révélateurs des dysfonctionnements de la communauté. Notre hypocrisie de pharisien est encore aujourd’hui, confondue par les publicains et les prostitués qui nous précèdent dans le royaume des cieux. Cela ne fait jamais de mal de se le faire rappeler.
Centrifuge ou centripète
Dans cette communication, l’objectif est simple : attirer, faire venir à l’église… C’est le propre de la communication que de se rendre attirant mais ce premier chapitre de l’évangile de Marc que nous lisons le dimanche depuis quelques semaines nous révèle que cela repose sur une erreur grave. Nous voulons attirer quand Jésus est sorti pour visiter.
C’est le rappel continuel du pontificat de François, sur lequel il faut encore insister. Le Christ est sorti pour aller à la rencontre. Le Christ, verbe de Dieu, est la question qui résonne en Dieu depuis le 3ème Chapitre du livre de la genèse : « Adam, où es-tu ? ». Sa quête de l’homme ne se fait pas avec les instruments de la séduction et de la communication. Il ne cesse d’aller à l’encontre des images que projette sur lui ses contemporains, de rejeter leurs conceptions fausses de sa messianité, il refuse d’être « ce à quoi ils s’attendent » par ce qu’il est « celui qu’ils attendent ».
Il y a bien un mouvement d’attraction dans l’évangile : « Quand j’aurais été élevé de Terre j’attirerais à moi tous les hommes ». C’est précisément la Croix du Christ qui est force d’attraction, c’est-à-dire le refus absolu et radical de tout succès terrestre, de toute image positive, de toute réussite de communication.
La parole du lépreux de l’évangile devient l’obstacle à la mission du Christ, il se retrouve empêché d’aller à la rencontre. Le lépreux s’est mis en écran entre Dieu et les hommes par ce qu’il a voulu attirer, séduire. Si bien que la situation s’inverse et Jésus se retrouve dans la situation du lépreux : c’est lui qui ne peut plus entrer dans les villes, qui doit se tenir à l’écart. Il fuit cette communication fausse et entre déjà dans le mystère de son sacrifice en prenant sur lui la lèpre.
L’opération de communication qu’est « Bienvenu au monastère », ne dit rien du Christ et de son mystère. Elle n’est en rien une œuvre d’évangélisation. C’est un artifice de séduction et de communication instrumentalisé par des lépreux refusant d’être purifiés de leur lèpre et qui se placent en écran entre Dieu et les hommes. Jésus, lui, se tient à l’écart, au désert, ailleurs, et d’abord auprès des victimes de ces communautés à nouveau violentées, humiliées par ce programme, voyant se reproduire ce qu’elles ont subit sous le vernis « cool » d’une émission de télé.
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