J'ai écrit ce texte à l'occasion de la promulgation de la nouvelle traduction du missel Romain (décembre 2021), je le publie ici pour nous aider tous à toujours mieux la recevoir.
A partir du premier dimanche de l’Avent 2021 entre en vigueur une nouvelle traduction du Missel qui va venir bouleverser nos habitudes en matière de liturgie puisque la traduction précédente date de 1974. Voici quelques éléments pour comprendre et accueillir cette nouvelle traduction.
Pourquoi une nouvelle traduction du Missel ?
En 2002, le pape saint Jean Paul II a publié une nouvelle édition typique (la 3ème) du Missel romain. Il ne s’agit pas d’un nouveau Missel mais plutôt d’une édition « revue et corrigée » (changements de quelques oraisons, ajouts de certaines rubriques, restauration d’usages anciens comme la messe de vigile de l’épiphanie etc.). A cette occasion, tous les pays du monde ont été invités à revoir leur traduction du Missel dans le souci de la rendre plus proche du texte latin et conforme à cette nouvelle édition typique. Pour les pays francophones une commission à été formée en 2003 pour assurer ce travail.
La traduction précédente fut réalisée après le concile Vatican II de manière à pouvoir disposer rapidement d’un livre permettant de célébrer en français. Les traducteurs avaient alors opté pour un style concis et clair mais qui prenait quelques libertés avec le texte original et comportait quelques erreurs qu’il fallait corriger.
Dans quel esprit cette traduction a-t-elle été réalisée ?
Il faut comprendre que la traduction d’un livre liturgique ne relève pas du simple exercice linguistique. L’enjeu est de permettre aux fidèles de s’associer pleinement aux sacrements célébrés pour en recevoir toutes les grâces mais aussi de manifester l’unité de l’Eglise au-delà des distinctions de langues et de cultures, tout en s’assurant que le langage choisi demeure fidèle au dépôt de la foi.
Dans le motu proprio Magnum Principium établissant les principes gouvernant la traduction des livres liturgiques, le pape François parle d’une triple fidélité : fidélité au texte latin, fidélité au génie propre de la langue, fidélité à la compréhension des fidèles.
La nouvelle traduction en français du Missel a été réalisée dans cet esprit. Visant une plus grande fidélité au texte latin afin de renforcer l’unité de la pratique liturgique dans l’Église, elle a aussi pris en compte la nécessité d’être accessible à tous afin de favoriser la participation active de tous les fidèles à l’action liturgique.
Comment accueillir cette nouvelle traduction ?
D’abord comme une chance. Il est parfois bon d’être bousculé dans nos habitudes. La nécessité d’accueillir ces nouveaux mots pour dire notre foi inchangée et pour louer le Seigneur peut être l’occasion pour nous d’être renouvelés dans notre manière de participer à l’eucharistie, d’être plus conscients et plus concernés par les mots que nous prononçons ou entendons au cours de la messe.
Ensuite avec un a priori bienveillant et un esprit d’obéissance. Cette nouvelle traduction va bouleverser en nous des habitudes profondément ancrées, il est donc possible (probable) que certains aspects de cette traduction nous déplaisent. Mais, par essence, la liturgie se reçoit, elle nous est donnée par l’Église comme un cadeau. S’il est important que la liturgie reflète la vie de la communauté locale, pour autant elle n’est pas le lieu d’expression de nos opinions mais de notre unité dans le Christ Jésus.
Enfin il faudra accepter d’être patient, souple, conscient que le changement prendra du temps.
Les changements de la nouvelle traduction
On ne pourra pas lister tous les changements mais voici un focus sur ceux qui vont le plus affecter notre pratique quotidienne.
« Frères et sœurs »
C’est devenu l’usage courant en français de s’adresser à une assemblée en mentionnant les hommes et les femmes qui la composent. Et c’était devenu l’usage habituelle de la liturgie au moment du geste de paix : « frères et sœurs dans la charité du Christ… ». La nouvelle traduction reprend cet usage pour mettre en avant la diversité de l’assemblée chrétienne. Ainsi au « Je confesse à Dieu » nous dirons : « je reconnais devant vous, frères et sœurs, que j’ai péché ».
Si ce n’est pas l’usage latin, ce choix n’est pas sans lien avec la tradition liturgique puisque déjà dans le Missel dit « de Saint Pie V » (promulgué en 1570), le Canon Romain (c’est-à-dire notre actuelle prière eucharistique I) utilise la locution « famulorum famularumque » (« tes serviteurs et tes servantes ») pour désigner l’assemblée réunie pour célébrer l’eucharistie. Nous retrouvons cela dans la nouvelle traduction des prières eucharistiques.
A noter que, à la préparation des dons, la formule d’offrande du pain et du vin reste « fruit de la terre (vigne) et du travail des hommes » pour ne pas alourdir la formule et parce qu’ici le mot « homme » traduit le latin homo qui désigne le genre humain sans distinction de sexe (à la différence de vir qui désigne l’homme masculin).
« Les péchés »
Le texte original du Missel n’emploie pas le mot peccatus au singulier et utilise toujours le pluriel peccata. La nouvelle traduction corrige donc le choix du singulier qu'avaient fait les traducteurs de 1974. Ainsi dans le Gloria nous ne chanterons plus « toi qui enlèves le péché du monde », mais « toi qui enlèves les péchés du monde », de même à l’Agnus Dei.
Ce changement peut paraître insignifiant mais il n’est pas sans justification théologique. Il s’agit de parler du péché non pas comme d’une réalité abstraite, indéfinie (le péché) mais de renvoyer aux actes concrets, bien réels que nous commettons. Ce sont ces actes que le Christ est venu prendre et enlever du monde par son sacrifice rédempteur.
De la même manière, dans la préparation pénitentielle, le prêtre ne dira plus « préparons-nous à célébrer l’eucharistie en reconnaissant que nous sommes pécheurs », mais « préparons-nous à célébrer l’eucharistie en reconnaissant que nous avons péché ». Il s’agit de ne pas voir le péché comme un état dans lequel nous sommes enfermés mais comme des actes bien précis que nous avons commis et que le Christ vient pardonner.
« Consubstantiel au Père »
C’était un des points les plus controversé de la traduction de 1974 : dans le Symbole de Nicée-Constantinople la traduction du latin « consubstantialem Patri » par « de même nature que le Père ». A l’époque beaucoup de théologiens avaient pointé les limites de cette traduction et avaient milité pour le retour de la formule « consubstantiel au Père ».
Pourquoi un tel attachement pour ce qui semble relever d’une querelle de théologie pointilleux ? Il faut d’abord rappeler que le Symbole de Nicée est écrit en réponse à l’arianisme, une grave hérésie qui se propage au IVème siècle et qui affirme que le Fils n’est pas Dieu mais une créature qui lui est par définition inférieure. Le concile de Nicée s’oppose à cette doctrine en affirmant la consubstantialité du Père et du Fils : le Fils est engendré par le Père de toute éternité, il n’est pas créé comme le sont les créatures. Le Père et le Fils (avec l’Esprit Saint) partagent la même substance divine, trois personnes distinctes mais un seul Dieu.
Quel est le problème alors de la formule « de même nature » ? C’est qu’elle est insuffisante à rendre compte de ce qu’affirme le concile de Nicée et peut avoir des relents polythéistes. La nature désigne ce qui fait que nous sommes ce que nous sommes, et pas autre chose. Ainsi il y a une nature humaine qui désigne ce qu’est un homme ou une nature lapine qui désigne ce qu’est un lapin etc. Ainsi tout homme ou tout lapin est de même nature que son père, précisément parce que la nature est ce qu’ils ont de commun et qui fait d’eux un homme ou un lapin.
La substance, elle, désigne dans un être ce qui demeure sous les changements. Quand Phèdre dit :
« Je le vis, je rougis, je pâlis à sa vue
un trouble s’éleva en mon âme éperdue
Mes yeux ne voyait plus, je ne pouvais parler
Je senti tout mon corps et transir et brûler »
Les changements brusques et contradictoires qu’elle expérimente à la vue d’Hippolyte ne font pas d’elle une autre personne car, au-delà, de ces changements il y a un substrat, un sujet qui subsiste, qui demeure. C’est précisément cela la substance.
Dire que le Père et le Fils sont de même nature c’est dire qu’ils partagent la nature divine comme la partageraient Zeus, Hadès et Athéna. Trois dieux différents mais ayant en commun une même nature divine. Dire que le Père et le Fils sont consubstantiels c’est dire qu’ils sont la même substance, le même Être, le même Dieu.
« Orate fratres »
L’introduction de la prière sur les offrandes, aussi appelée Orate fratres, est un des changements les plus visibles. Dans la version actuelle, le célébrant dit : « Prions ensemble, au moment d’offrir le sacrifice de toute l’Église ». Ce à quoi l’assemblée répond : « Pour la gloire de Dieu et le salut du monde ».
Si elle est toujours possible dans le futur missel, cette formule est reléguée au second plan. Le prêtre privilégiera : « Priez, frères et sœurs : que mon sacrifice, qui est aussi le vôtre, soit agréable à Dieu le Père tout-puissant ». Et l’assemblée : « Que le Seigneur reçoive de vos mains ce sacrifice à la louange et à la gloire de son nom, pour notre bien et celui de toute l’Église ».
Cette formule, plus fidèle au texte latin, est enracinée dans la tradition de l’Église puisqu’elle était déjà utilisée dans le missel de 1570. Elle insiste sur le fait que l’offrande présentée par les mains du prêtre est bien le sacrifice offert par tous les fidèles présents qui participent à l’action liturgique. Ainsi la participation active à laquelle les fidèles sont appelés consiste d’abord dans le fait de s’associer spirituellement à l’offrande du Christ au Père, à s’offrir avec lui en « sacrifice vivant, saint, agréable à Dieu » (Rm12, 1).
Le silence et la gestuelle
L’édition du missel de 2002 dont nous recevons la traduction aujourd’hui accorde une grande importance aux silences et aux gestes de la messe. Cette nouvelle traduction est aussi l’occasion d’accueillir cette demande.
Parmi les gestes, outre l’agenouillement qui est demandé au moment de la consécration du pain et du vin (cf. Présentation Générale du missel Romain n°43), la nouvelle traduction demande aussi qu’une inclinaison profonde soit faite lors de la récitation du Credo au moment du rappel de l’Incarnation du Seigneur, quel que soit le symbole choisi (Symbole des Apôtres ou de Nicée Constantinople).
Pour laisser de la place au silence, cette nouvelle édition demande qu’un temps de silence soit marqué au début de l’acte pénitentiel, avant la prière d’ouverture (collecte), après l’homélie et après la communion. Le missel nous encourage aussi à garder le silence dans l’église, la sacristie et tous les lieux avoisinants avant le début de la messe pour favoriser le recueillement de tous (cf. PGMR n°45).
Quelques ressources pour nous aider à recevoir cette nouvelle traduction
L’accueil de cette nouvelle traduction peut être pour chacun d’entre nous l’occasion d’entrer dans une meilleure compréhension de la liturgie de l’Église et de faire le point sur notre manière de participer à l’eucharistie. Pour cela un certain nombre de ressources peuvent nous aider à recevoir cette traduction. Toutes ces sources sont consultables gratuitement sur internet.
La constitution dogmatique Sacrosanctum Concilium du Concile Vatican II. Pour voir par soi-même et comprendre ce que dit vraiment le concile sur la liturgie sans s’arrêter aux idées reçues. En particulier les n°5 à 13 (la nature de la liturgie) ainsi que les n°47 et 48 (la participation active des fidèles), les n°59 à 61 (la célébration des sacrements), n°102 à 111 (l’année liturgique), n°112 à 121 (la musique sacrée).
La Présentation Générale du Missel Romain (PGMR) de 2002 : Elle introduit la nouvelle édition du missel, elle en donne l’esprit et le sens et ainsi que de précieuses indications à suivre pour la célébration tant pour les prêtres et les diacres que pour les fidèles.
L’instruction de la Congrégation pour le Culte Divin : Redemptionis Sacramentum. Portant le sous-titre évocateur « sur certaines choses à observer et à éviter concernant la Très Sainte Eucharistie » Elle est un guide des bonnes pratiques liturgiques pour la célébration de la messe.
Les catéchèses du pape François sur la messe. Cycle de catéchèses pontificales s’étendant du 8 novembre 2017 au 4 avril 2018 (14 catéchèses) redonnant de manière très pédagogique la théologie de la messe en s’arrêtant sur chacune des parties qui la composent.
Catéchèse du pape François du 3 février 2021 sur la place de la liturgie dans la prière chrétienne.
Le site : liturgie.catholique.fr/la-messe/missel-romain/ Site mis en place par la Conférence des Évêques de France qui centralise un grand nombre de ressources (textes, vidéos…) autour de la nouvelle traduction du missel.
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