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  • Photo du rédacteurClément Barré

"Hors de l'Eglise point de Salut" partie 2 - La détermination du Concile Vatican II

Au XXème siècle, l’adage « hors de l’Eglise… » ne va plus de soi. Pour les théologiens marqués par la modernité sa dimension exclusive et absolue a quelque chose de scandaleux, de choquant. La théologie reprend à son compte les contestations et les critiques de l’époque moderne. Il ne s’agit plus de défendre ou d’expliquer l’adage, mais de l’interpréter de manière à ce qu’il soit « bien compris ».


Dans le mouvement de renouveau théologique qui prépare le concile Vatican II, de nombreux théologiens se saisissent de la question de la nécessité de l’Eglise pour le Salut. Le père Henri de Lubac en particulier aura une grande importance dans la réflexion de son temps en proposant une solution inventive :


Il entend distinguer dans l’Eglise deux dimensions : moyen et finalité. L’Église invisible s’identifie au salut finale et l’Eglise en tant qu’institution visible est le moyen de ce salut. Ainsi il éclaire mieux l’axiome : si L’Eglise est considérée dans sa finalité, il n’y a pas de salut hors d’elle car l’Eglise s’identifie à l’humanité rachetée par le Christ. Considérée comme moyen il n’y a pas de salut sans elle car elle est le vecteur de toutes grâces pour conduire les hommes à leur salut. Ainsi, si des non Chrétiens vivent de la grâce, c’est de Dieu par l’Eglise qu’ils reçoivent cette grâce parce que l’Eglise supplée à ce qui leur manque. « Par une extension du dogme de la communion des saints, il semble donc juste de penser que, bien qu’ils (les non chrétiens) ne soient pas eux-mêmes placés dans les conditions normales de salut, pourront néanmoins obtenir ce salut en vertu des liens mystérieux qui les unissent aux fidèles. » [1] Le père de Lubac insiste sur le fait que l’adage exprime une vérité au plan universelle mais ne prétend pas se positionner sur la situation concrète de chacun. Pour l’humanité il n’y a aucun salut en dehors de et sans l’Eglise.


Ce renversement fonde à la fois la prétention universelle de l’Eglise et son exigence. On pourrait dire, dans un langage juridique, qu’il renverse la charge du salut. Ce n’est plus une affirmation que le devoir incombe à toute personne d’intégrer les frontières visibles de l’Eglise pour être sauvé, c’est qu’il incombe à l’Eglise et à tous chrétiens de tout mettre en œuvre pour que « tous les hommes soient sauvés et parviennent à la connaissance de Sa gloire » (1Tm2, 4)


Dans la suite du renouveau théologique du XXème siècle, le concile Vatican II va permettre une interprétation adéquate de l'adage « Hors de l’Eglise… ». S'il ne cite pas explicitement l'adage, la synthèse ecclésiologique qu’il propose en permet une compréhension renouvelée. Quatre points particulièrement liés à notre sujet retiennent notre attention[2].


L’universalité du dessein de salut

Le point de départ de la réflexion du concile c’est le désir de Dieu de sauver tous les hommes. Une volonté de salut universelle réalisé dans le Christ. C’est dans cette perspective que s’inscrit la réflexion sur l’Eglise : Dieu veut sauver tous les hommes en faisant d’eux un seul peuple qui est l’Eglise. Ainsi le concile pense la situation de tous les hommes par rapport à l’Eglise selon qu’ils en sont déjà membres par le baptême (appartenance), ou appelé à en devenir membres (ordination). La vocation de tout homme est de faire partie de ce peuple de Dieu qui est l’Eglise.


Église et Ecclésialité

Ce peuple dans lequel Dieu veut rassembler toute l’humanité, ce projet divin de s’unir à lui tous les hommes dans le Christ, le concile le nomme « l’unique Eglise du Christ ». Celle-ci se rencontre dans sa forme concrète dans l’Eglise catholique[3] car elle a reçu de Dieu la plénitude des moyens du salut, mais on peut retrouver des éléments d’ecclésialité hors des frontières visibles de l’Eglise[4].


Ainsi puisque tout homme est ordonné à faire partie du peuple de Dieu, le concile reconnaît donc ce qui est bon et vrai dans les autres traditions religieuses, reconnaît l’existence d’éléments véritables de sanctifications en dehors des frontières visibles de l’Eglise et affirme que la grâce est à l’œuvre dans le cœur des hommes de bonnes volontés qui cherche Dieu d’un cœur sincère. Ainsi le Concile dépasse l’apparente contradiction entre le fait que l’unique Eglise du Christ se rencontre dans l’Eglise catholique romaine et le fait qu’un non catholique, un non chrétien puisse être sauvé.


L’unique rédempteur et les voies de la rédemption

La compréhension des voies du salut découle des principes ecclésiologiques évoqués plus haut. Il n’y a de salut que par le Christ (Ac 4, 12) et donc, du fait de l’unité du Christ et de l’Eglise, il n’y a pas de salut qui ne soit lié à l’Eglise : « Seul, en effet, le Christ est médiateur et voie de salut : or, il nous devient présent en son Corps qui est l'Eglise ; et en nous enseignant expressément la nécessité de la foi et du baptême (cf. Mc 16,16 Jn 3,5), c'est la nécessité de l'Eglise elle-même, dans laquelle les hommes entrent par la porte du baptême, qu'il nous a confirmée en même temps[5] »


Ce principe posé le concile distingue deux situations : d’une part ceux qui ont reçu l’évangile. Pour eux le salut passe par l’incorporation à l’Eglise par le Baptême dont la nécessité est réaffirmée. Un refus en conscience de cette incorporation à l’Eglise est de nature à priver du salut[6].


D’autre part ceux qui n’ont pas reçu l’évangile pour qui une voie de salut est ouverte : « ceux qui, sans qu'il y ait de leur faute, ignorent l'Evangile du Christ et son Eglise, mais cherchent pourtant Dieu d'un cœur sincère et s'efforcent, sous l'influence de sa grâce, d'agir de façon à accomplir sa volonté telle que leur conscience la leur révèle et la leur dicte, ceux-là peuvent arriver au salut éternel. A ceux-là mêmes qui, sans faute de leur part, ne sont pas encore parvenus à une connaissance expresse de Dieu, mais travaillent, non sans la grâce divine, à avoir une vie droite, la divine Providence ne refuse pas les secours nécessaires à leur salut. En effet, tout ce qui, chez eux, peut se trouver de bon et de vrai, l'Eglise le considère comme une préparation évangélique et comme un don de Celui qui illumine tout homme pour que, finalement, il ait la vie.[7] »


Il faut néanmoins noter que cette voie de salut offerte aux non chrétiens est conditionnelle et personnelle (non collective). Elle vise spécifiquement une ignorance invincible, c’est-à-dire non-coupable.[8]


L’Église et le salut du genre humain


Il s’agit alors d’éclairer le rôle de l’Eglise dans la communication du salut à tous les hommes car l’universalité du dessein de salut dans le Christ suppose la nécessité de l’Eglise dans la communication de ce salut pour tous les hommes.


Cette nécessité le concile l’exprime par la sacramentalité de l’Eglise[9]. Parler de l’Eglise comme sacrement insiste d’abord sur sa dimension instrumentale. L’Église est le moyen par lequel Dieu communique le salut. L’Église est pourvoyeuse des moyens de sanctification. Mais l’analogie du sacrement signifie aussi que mystérieusement l’Eglise réalise ce qu’elle signifie. L’Église étant la seule où peut s’obtenir la plénitude des moyens du salut, il n’est pas de salut pour aucun homme qui ne passe par l’Eglise, et le salut est, par nature, incorporation à l'Eglise.


Le concile tranche donc définitivement l’interprétation de l’adage « hors de l’Eglise point de Salut » en le ramenant à son sens patristique. « Hors de l’Eglise point de salut » est à comprendre dans le sens « Pas de salut sans l’Eglise » ou, pour le formuler de manière positive, « Le salut passe nécessairement par l’Eglise ». Seul un refus coupable des moyens offerts par l’Eglise entraîne de fait une exclusion du Salut. 


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[1] H. DE LUBAC, Catholicisme. Les aspects sociaux du dogme, Cerf, Paris, 1938 cité par B. Sesboüé in Hors de l’Église point de salut » p. 188

[2] Nous reprenons ici la réflexion du P. François DAGUET dans son article, Le Salut des non chrétiens : un cas d’herméneutique du dogme in La Revue Thomiste 2010 n°1, p73-111

[3] Concile Vatican II, constitution dogmatique Lumen Gentium, n°8 « Cette Eglise comme société constituée et organisée en ce monde, c'est dans l'Eglise catholique qu'elle subsiste (subsistit in) gouvernée par le successeur de Pierre et les évêques qui sont en communion avec lui »

[4] François DAGUET, Le Salut des non chrétiens : un cas d’herméneutique du dogme in La Revue Thomiste 2010 n°1, p.94 : « Ceux qui lui appartiennent jouissent d’une pleine incorporation au corps du Christ ce qui n’exclue pas que des « éléments d’Eglise » se rencontrent en dehors des frontières visibles de l’Eglise »

[5] Lumen Gentium, n°14

[6] Cf. Lumen Gentium n°14 : « C'est pourquoi ceux qui refuseraient soit d'entrer dans l'Eglise catholique, soit d'y persévérer, alors qu'ils la sauraient fondée de Dieu par Jésus-Christ comme nécessaire, ceux-là ne pourraient pas être sauvés. »

[7] Lumen gentium n°16

[8] Cf. François DAGUET, Le Salut des non chrétiens : un cas d’herméneutique du dogme p.97

[9] Cf. Lumen Gentium n°1 : « L’Église étant, dans le Christ, en quelque sorte le sacrement, c’est-à-dire à la fois le signe et le moyen de l’union intime avec Dieu et de l’unité de tout le genre humain »

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