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  • Photo du rédacteurClément Barré

"Hors de l'Eglise, point de Salut" Partie 1 - Approche historique

Le concile de Florence affirme dans la bulle Cantate Domino : « [La très sainte Eglise romaine] croit fermement, professe et prêche qu’aucun de ceux qui se trouvent en dehors de l’Eglise catholique, non seulement païens, mais encore juifs ou hérétiques et schismatiques, ne peuvent devenir participants de la vie éternelle, mais iront « dans le feu éternel qui est préparé pour le diable et ses anges » (Mt 25,41), à moins qu’avant la fin de leur vie ils ne lui aient été agrégés ; elle professe aussi que l’unité du corps de l’Eglise a un tel pouvoir que les sacrements de l’Eglise n’ont d’utilité en vue du salut que pour ceux qui demeurent en elle, que pour eux seuls jeûne, aumônes et tous les autres devoirs de la piété et exercices de la milice chrétienne enfantent les récompenses éternelles, et que personne ne peut être sauvé, si grandes soient ses aumônes, même s’il verse son sang pour le nom du Christ, s’il n’est pas demeuré dans le sein et dans l’unité de l’Eglise catholique [1] »


Une affirmation aussi catégorique ne peut pas ne pas nous interroger ou même nous choquer par sa dimension restrictive car si on comprend que l’Eglise ici désigne l’Eglise catholique romaine dans sa dimension la plus visible et matériel alors cette formule semble exclure de la perspective du salut la grande majorité de l’humanité considérer dans le temps et l’espace. Comment articuler une telle affirmation avec l’affirmation tout aussi claire de l’Ecriture que « Dieu veut que tous les hommes soient sauvés et parviennent à la connaissance de sa gloire » (Tim 2, 4).


Cette formule est d’autant plus étonnante que nous, qui vivons après le concile Vatican II sommes habitués à un tout autre discours du magistère sur les autres religions comme dans la constitution Gaudium et Spes (n°22. § 5) par exemple : « Certes, pour un chrétien, c’est une nécessité et un devoir de combattre le mal au prix de nombreuses tribulations et de subir la mort. Mais, associé au mystère pascal, devenant conforme au Christ dans la mort, fortifié par l’espérance, il va au-devant de la résurrection. Et cela ne vaut pas seulement pour ceux qui croient au Christ, mais bien pour tous les hommes de bonne volonté, dans le cœur desquels, invisiblement, agit la grâce. En effet, puisque le Christ est mort pour tous et que la vocation dernière de l’homme est réellement unique, à savoir divine, nous devons tenir que l’Esprit Saint offre à tous, d’une façon que Dieu connaît, la possibilité d’être associé au mystère pascal. » [2]


Cette affirmation pourrait donc nous conduire à affirmer qu'il est faux de dire que l'appartenance à l'Eglise est nécessaire au Salut, ce qui conduirait à affirmer une contradiction et une rupture dans l'enseignement de l'Eglise. Pour comprendre de manière juste ce qu'affirme l'Eglise sur la nécessité de lui appartenir pour être sauver, il convient d'abord de comprendre comment le principe dogmatique "hors de l'Eglise point de Salut" a été élaboré et compris dans l'histoire de la théologie. Dans un second article nous proposerons, à la lumière de l'enseignement du Concile Vatican II d'en proposer une juste interprétation.


Fondements bibliques

Concernant le salut des hommes la bible est traversée par un double mouvement qui semble matriciel de toute juste interprétation de l’adage, le Père Sesboué parle d’une ellipse à deux foyers[1], comme si la question du salut gravitait autour de deux pôles :


  • D’une part, l’affirmation claire qu’il n’y a de salut qu’en Jésus Christ, que l’union au Christ est nécessaire au salut : « Il n’y a aucun salut en dehors de lui » (Ac 4,12).

  • D’autre part une compréhension progressive de l’universalité du projet divin qui considère également ceux qui sont restés étranger à la révélation. Cette conviction fondée sur l’alliance avec Noé et avec Abraham en qui « sont bénies toutes les nations de la Terre ».


Cette tension se retrouve dans la manière dont les Pères vont interpréter l’épisode de l’arche de Noé qui est fondamental dans leur réflexion sur le plan du salut : D’abord un sens excluant en regardant la situation concrète et personnelle de chacun : tous ceux qui ne sont pas dans l’arche sont perdus. On distingue donc avec force ceux du dedans et ceux du dehors. Puis, dans une perspective plus marquée par l’espérance, qui considère l’humanité dans son ensemble. C’est par l’arche et la descendance de Noé que toute l’humanité qui est sauvé. L’arche comme l’Eglise est le moyen de salut offert à toute l’humanité. Noé est vu comme une figure du Christ et l’arche comme un symbole de la croix par laquelle tout le genre humain est sauvé.


Les Pères et le salut de « ceux du dehors »

Si on retrouve une formule proche chez Origène dans ses homélies sur Josué, c’est à Saint Cyprien de Carthage que l’on doit l’affirmation « salus extra ecclesiam non est[2] ». Cependant son propos n’est pas d’exclure les païens de l’Eglise, sur ce point Cyprien se place dans la ligne de Tertullien qui insiste sur le témoignage de l’âme et défend la possibilité d’une connaissance naturelle de Dieu. C’est dans la polémique contre les hérétiques que Cyprien en vient à affirmer cela : « Quiconque se séparant de l’Eglise, s’unit à une adultère, se frustre des promesses de l’Eglise. S’il abandonne l’Église du Christ, il n’aura pas accès aux récompenses du Christ ; il est un étranger, un profane, un ennemi »[3]


Mais la colère de Cyprien se limite au cas des hérétiques ayant quitté l’Eglise. En aucun cas cette exclusion ne doit s’étendre à l’ensemble de l’humanité n’ayant pas connue le Christ. Il affirme ailleurs : « Que personne n’enlève à l’Evangile du Christ des chrétiens comme vous, que personne ne prenne à l’Eglise des fils de l’Eglise, que ceux-là seuls périssent qui ont voulu périr, et que hors de l’Eglise demeurent seuls ceux qui se sont éloignés de l’Eglise [4]»

La formule n’est donc pas utilisée dans une polémique concernant le salut de l’humanité mais concernant l’unité de l’Eglise. C’est ce péché que dénonce S. Cyprien, il n’entend point, par-là, donner une leçon sur le sort de l’humanité.


Cependant si dans les premiers temps de l’Eglise, les chrétiens sont confrontés à la certitude d’être une petite minorité de l’humanité héritière d’un dessein universel de salut, la religion chrétienne devient, par la suite religion officielle de l’Empire. Avec ce changement les chrétiens vont de plus en plus considérer que tout homme a été atteint par la prédication apostolique et que s’il l’a refusé c’est volontairement et en conscience. C’est pour cela que la portée de l’axiome « hors de l’Eglise point de salut » va être peu à peu étendue non plus aux seuls hérétiques mais aussi aux juifs et aux païens. Saint Augustin va particulièrement contribuer à une radicalisation dans la compréhension de l’axiome d’autant que s'il pense encore certaines nuances, elles ne seront pas reçues par la suite.


La canonisation à l’époque médiévale

Le concile de Florence, dans la bulle Cantate Domino marque l’entrée dans le magistère officiel de la formule « hors de l’Église point de salut » dans sa forme la plus radicale. Mais il est à noter que le concile de Florence, est d’abord un concile qui vise la réconciliation entre les différents membres de la chrétienté divisée. Les textes de ce concile, y compris la bulle Cantate Domino, sont signés par tous les représentants présents au concile, y compris ceux appartenant aux Eglise orientales.


Il semble donc que la formule n’a pas été prise alors comme une formule d’exclusion mais comme l’affirmation nécessaire de l’unicité de l’Eglise. Il ne s’adresse pas à ceux du dehors pour exclure, mais à ceux du dedans pour les exhorter à l’unité. C’est ainsi que le comprend Ratzinger « Le concile de Florence ne fait pas de la théorie dans le vide mais il tente d’effacer la séparation entre l’orient et l’occident, c’est exactement dans cet effort pour surmonter le schisme qui déchire l’unique Eglise que se situe son rigide enseignement sur l’Eglise indivisible [5]».

 

Il faut encore noter, qu’ici le concile n’arbitre pas un débat entre théologien mais se contente d’énoncer une vérité théologique alors connue et acceptée par tous. Aussi il ne s’agit pas de la prendre comme la définition rigoureuse d’un article de foi. Il faut recevoir cette affirmation pleine de tout le contexte théologique et historique qui l’engendre. Joseph Ratzinger met en relief trois points à prendre en compte dans la réception de ce texte :

  • La proposition se développe dans un monde presque entièrement chrétien, où la prédication évangélique s’est répandue dans l’ensemble du monde connu et où seul un refus coupable peut expliquer le fait de rester hors de l’Eglise. Aussi le souci du salut des païens à cause d’une ignorance invincible est-il moins présent que dans les premiers temps de l’Eglise.

  • L’école augustinienne qui développe la nécessité stricte de l’Eglise pour le salut développe dans le même temps la pensée de l’ecclesia ab Abel.[6] Elle donne donc les moyens conceptuels de penser le salut par l’Eglise en dehors d’une stricte appartenance à sa constitution juridique.

  • La proposition n’est jamais isolée, et elle ne résume pas à elle seule la position de l’Eglise sur le salut mais appartient à un développement historique duquel elle ne doit pas être coupée.[7]

La remise en question à l’époque moderne

A l’époque moderne, face au bouleversement du monde, l’Eglise doit affiner son interprétation de l’adage en tenant toujours les deux foyers de l’ellipse. La théologie va donc suivre un mouvement de balancier d’un pôle à l’autre pour répondre aux controverses qui naissent dans ce temps :


La découverte du nouveau Monde oblige l’Eglise à penser la possibilité de Salut pour tous les hommes qui n’ont pas entendu la proclamation de l’évangile même après l’incarnation du Verbe. A l'inverse, la réforme protestante va entraîner une rigidification de l’interprétation de l’adage, l’Eglise hors de laquelle nul ne peut être sauvé est alors formellement identifié à l’Eglise catholique romaine. Par la suite, la crise Janséniste conduit le magistère à condamner formellement des interprétations trop radicales de l’adage comme « hors de l’Eglise nulle grâce n’est concédée ». Enfin, l’émergence de l’indifférentisme religieux à la suite de la philosophie des lumières entraîne une nouvelle réaction du magistère qui réaffirme la nécessité d’appartenir à l’Eglise pour être sauvé.


Ce mouvement de balancier que nous observons s’explique aisément : l’affirmation « hors de l’Eglise point de salut » se trouve à l’intersection de deux vérités de foi absolument incontestable et, en apparence, paradoxales. D’un côté la volonté de Dieu de sauver tous les hommes et donc la prédestination universelle au salut et de l’autre l’absolue nécessité du Christ pour le salut. L’adage porte en lui tout le paradoxe de ces deux vérités en apparences insolubles.


Le second article montrera comment nous pouvons aujourd'hui réaliser une synthèse théologique qui permet de tenir ensemble ces deux affirmations.




[1] Bulle Cantate Domino, 4 février 1442, DzH 1351

[2] Concile Vatican II, Constitution Dogmatique Gaudium et Spes, 7 décembre 1965

[1] Bernard SESBOUE, Hors de l’Eglise pas de Salut -Histoire d’une formule et problème d’interprétation, Desclée de Brouwer, Paris, 2004 p. 25

[2] Il n’est pas de salut en dehors de l’Eglise

[3] Cyprien, De l’unité de l’Eglise Catholique, cité par B. SESBOÜE in, Hors de l’Eglise point de Salut, p. 52

[4] Cyprien, Lettres, 43.5, Bayard II, p. 108 cité idem.

[5] J. RATZINGER, Le Nouveau Peuple de Dieu, édition Montaigne, Paris 1971, p.154

[6] Doctrine développée par S. Augustin qui pense l’Eglise dans la totalité de l’histoire du Salut. L’Église est le corps du Christ dont sont membres tous les justes, y compris ceux qui ont vécu avant l’incarnation.

[7] Cf. J. RATZINGER, Ibid.



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