Fracture générationnelle et crise de la transmission
- Clément Barré
- il y a 1 jour
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Ces derniers jours, dans le cadre des débats sur le budget de l’État, la question de la fracture générationnelle a resurgi dans le débat public. Depuis plusieurs mois, le mouvement « Nicolas qui paie », très actif sur les réseaux sociaux, martèle un slogan devenu incontournable : « Il faut baisser les retraites géantes des boomers et rendre aux actifs le fruit de leur travail. » L’ancien Premier ministre François Bayrou a lui-même repris cette idée, proposant de mettre à contribution la génération des « boomers » pour alléger le poids de la dette publique qui repose principalement sur les jeunes actifs.
Cette fracture générationnelle, visible dans la société, divise également l’Église. Elle traverse les paroisses, les presbytères et les communautés. Le sociologue Yann Raison du Cleuziou en a esquissé les contours dans son article « La transition minoritaire du catholicisme français », paru dans la revue Études en mai 2025. Il y explique comment la minorisation du catholicisme en France entraîne chez les jeunes un renouveau identitaire et attestataire, souvent perçu avec suspicion par les générations plus anciennes. Habituées à une position majoritaire, ces dernières étaient davantage enclines à des compromis avec la société.
Au-delà des enjeux politiques et sociologiques, c’est une question pastorale qui se pose aux chrétiens et à leurs pasteurs. En effet, depuis les apôtres, la foi s’est transmise comme un héritage, de générations en générations : les aînés offrant aux plus jeunes ce qu’ils ont eux-mêmes reçu, et les jeunes accueillant ce trésor comme un héritage précieux.
Déjà dans l’Israël biblique, le quatrième commandement, « Honore ton père et ta mère », ne se limite pas à un impératif moral de respect ou à une dette perpétuelle des jeunes envers leurs aînés. Il établit un pacte de transmission, puisqu’il est donné : « afin que tes jours se prolongent dans le pays que l’Éternel, ton Dieu, te donne » (Ex 20, 12). Ce commandement lie ainsi le respect dû aux parents à la transmission de l’alliance avec Dieu et de ses promesses.
Les générations aînées sont donc indispensables au sein de la communauté chrétienne. À elles revient la responsabilité de transmettre la foi reçue. Le chrétien ne peut faire table rase du passé : il doit accepter d’être un héritier, recevant d’un autre ce qui l’unit au Christ. Si la foi est un don de Dieu, elle se construit, s’apprend et se nourrit de l’expérience et du savoir des prédécesseurs. Nul ne peut rejeter cet héritage. Aujourd’hui, ceux qui prennent des responsabilités dans l’Église doivent le faire avec une profonde reconnaissance envers les générations passées, en particulier celles qui, à la fin du XXe siècle, ont tenu bon face à la crise, alors que beaucoup abandonnaient.
Inversement, ceux qui transmettent sont appelés à une forme de chasteté spirituelle. Ils ne doivent ni se poser en propriétaires du dépôt de la foi, ni en juges de la manière dont elle est vécue. Comme des parents, ils sont invités à être des passeurs, à l’image de Jean Baptiste, qui acceptent de « diminuer » pour laisser grandir une nouvelle génération. Cela implique de permettre aux plus jeunes de s’engager, de prendre des responsabilités et de tracer des chemins nouveaux à partir de l’héritage reçu.
Dans ce temps particulier où de nombreux jeunes reviennent à l’Église, une véritable communion intergénérationnelle est plus que jamais nécessaire. Elle seule permettra à la parole du Christ d’être transmise et accueillie par tous.
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