Bienvenue Léon XIV ! Mes réponses à Atlantico
- Clément Barré
- il y a 3 jours
- 5 min de lecture
Dernière mise à jour : il y a 21 heures
Je rends publique cet entretien avec le site Atlantico qui est une tentative de lecture des premiers signes montrés par le Pape Léon XIV lors des premiers jours de son pontificat. Le lien de l'article original :
Atlantico : Robert Prévost est donc devenu le nouveau pape sous le nom de Léon XIV. Que sait-on de ses filiations spirituelles et politiques ?
Abbé Clément Barre : Léon XIV s’inscrit dans une triple filiation : augustinienne sur le plan spirituel, léonienne sur le plan social, et en continuité avec François sur le plan pastoral. Son rattachement à l’ordre de Saint-Augustin est fondamental : il puise dans une tradition spirituelle ancienne, centrée sur la grâce, la conversion et la recherche de Dieu. Il revendique également l’héritage de Léon XIII, pape du ralliement et auteur de Rerum Novarum, texte fondateur de la doctrine sociale de l’Église. Enfin, il est profondément marqué par François, qui l’a nommé cardinal en 2023. Léon XIV apparaît ainsi comme un homme de synthèse, capable d’unir les contraires et d’incarner un pontificat de réconciliation.
Tout d’abord, le pape est un augustinien. Que cela nous dit-il sur son rapport à la foi et au rôle spirituel de l’Église ?
Abbé Clément Barre : Être augustinien, c’est porter une vision de la foi enracinée dans l’intériorité, la tension entre le mal et la grâce, et la quête permanente du repos en Dieu. Saint Augustin écrivait : « Notre cœur est sans repos tant qu’il ne repose en toi ». Ce n’est donc pas une spiritualité de la conquête, mais de la transformation intérieure. On peut en déduire que Léon XIV privilégiera une Église qui évangélise par le témoignage, la profondeur et l’écoute, plutôt que par le conflit. Augustin d’Hippone, dans La Cité de Dieu, affirmait que Dieu agit à travers l’histoire. Cette idée pourrait structurer un pontificat qui voit dans les combats humains (sociaux, culturels, politiques) des lieux possibles de rencontre avec la grâce.
« Le mal ne l’emportera pas », a martelé le pape dans son premier discours, tout en insistant sur la paix et l’unité. Que préfigure pour vous cette phrase ?
Abbé Clément Barre : C’est une déclaration forte, dans la lignée du « N’ayez pas peur » de Jean-Paul II. Cette parole ancre son pontificat dans une espérance pascale : celle de la victoire définitive du Christ sur la mort et le mal. En pleine crise géopolitique mondiale, alors que les divisions internes affaiblissent l’Église, ce message est à la fois spirituel et politique. Il ne s’agit pas d’un slogan, mais d’un repère théologique : face à l’effondrement ou au cynisme, l’Église annonce que l’espérance a déjà triomphé. Cette phrase, prononcée un 8 mai (date anniversaire de la fin de la Seconde Guerre mondiale), vient rappeler que la paix n’est jamais donnée, mais toujours à défendre.
En choisissant de s’appeler Léon XIV, le pape s’inscrit par ailleurs dans la filiation de Léon XIII, l’un des papes au plus long pontificat de l’Histoire et dont on se souvient qu’il fût l’auteur de la doctrine sociale de l’Eglise, notamment dans l’encyclique Rerum Novarum. Que cela préfigure-t-il pour ce nouveau pontificat ?
Abbé Clément Barre : Le choix du nom est un message en soi. Léon XIII fut un pape fondateur, celui de la doctrine sociale de l’Église. Son encyclique Rerum Novarum, posait les jalons d’un engagement catholique dans les réalités économiques et sociales. Elle dénonçait les abus du capitalisme tout en affirmant le droit au travail, à un salaire juste, à la dignité humaine.
Ce choix de nom réactive cette dimension sociale, tout en l’actualisant. Léon XIV, formé au droit canonique, mais aussi missionnaire en Amérique latine, connaît les enjeux de pauvreté, d’inégalités, d’exclusion. Sans doute a-t-il été sensible à la théologie de la libération, dans ses formes les plus spirituellement équilibrées. Il pourrait incarner un catholicisme social, ancré, non idéologique, mais attentif à la justice et à la libération intégrale des personnes. Cela prolongerait les intuitions de François dans une tonalité peut-être plus institutionnelle.
Léon XIII était aussi le pape qui a décrété l’infaillibilité pontificale. Faut-il en déduire quelque chose quant à la gouvernance de Léon XIV, notamment sur ces sujets de liturgie qui électrisent les oppositions entre conservateurs et progressistes dans l’Eglise ?
Abbé Clément Barre : Il faut d’abord rappeler que l’infaillibilité pontificale, ne concerne que les déclarations solennelles en matière de foi et de morale. Elle ne dit rien du style de gouvernement d’un pape. Rien, en tout cas dans les premiers mots ni dans l’attitude de Léon XIV, ne suggère une volonté de gouvernance autoritaire ou centralisatrice. Il a au contraire affirmé, dans la continuité de François, son attachement à la synodalité : une Église qui discute, chemine, écoute.
Concernant les sujets liturgiques, qui cristallisent beaucoup de tensions internes, il semble s’inscrire dans une approche apaisée. Il ne s’est pas montré hostile à la liturgie traditionnelle, et n’est pas perçu comme un homme de clivage. Cela pourrait augurer d’une certaine souplesse, sans pour autant revenir sur les réformes engagées. On sent chez lui une volonté de tenir ensemble : fidélité à l’unité de l’Église, et respect des sensibilités.
Quant à la référence à Léon XIII, elle renvoie plus à une vision sociale et intégratrice de l’Église qu’à une logique de verrouillage doctrinal. Léon XIV pourrait se révéler comme un pape du rassemblement, soucieux d’équilibre plus que d’affrontement, et désireux de faire vivre les tensions sans les figer dans l’opposition.
Leon XIV a longuement évoqué la mémoire et l’héritage de François, ce pape qui l’avait fait cardinal en 2023 après l’avoir repéré alors que Robert Prévost était en mission au Pérou. On le décrit comme modéré, que fera-t-il selon vous de l’héritage de François dont on sait qu’il avait braqué certains pans de l’institution par son style comme par le fond ?
Abbé Clément Barre : On le décrit comme modéré, et cela transparaît dans sa manière d’aborder l’héritage de son prédécesseur. Son profil singulier de pasteur de terrain, canoniste rigoureux et ancien missionnaire, lui confère une capacité rare à rapprocher des courants opposés au sein de l’Église. Là où François a parfois bousculé l’institution par la force de son style et de ses convictions, Léon XIV pourrait en prolonger les orientations, en leur donnant une forme plus lisible et durable. Il a longuement évoqué la mémoire de François et il ne rompra donc pas avec le pape argentin, mais il pourrait poser les bases d’une Église moins polarisée, plus structurée. Son tempérament plus réservé, moins clivant, pourrait faciliter l’acceptation de certaines réformes encore fragiles. Il ne s’agit pas de revenir en arrière, mais bien de structurer et d’enraciner ce que François a mis en mouvement.
Léon XIV pourrait ainsi être celui qui donne corps et stabilité à des impulsions parfois encore instables. Un rôle discret, mais potentiellement décisif : celui d’un passeur entre deux temps de l’Église, capable de faire durer les évolutions sans en diluer le sens, tout en donnant corps et stabilité aux évolutions engagées.
Ce pape est le premier pape américain de l’histoire. Les origines argentines de François ont beaucoup teinté sa vision politique et géopolitique. Que peut-on imaginer qu’il en sera pour Léon XIV ?
Abbé Clément Barre : Né à Chicago, mais ayant vécu de nombreuses années au Pérou, Léon XIV est à la croisée des Amériques. Cette double appartenance culturelle lui confère une position unique : il connaît à la fois les réalités de l’Église du Nord et celles du Sud. Il pourrait jouer un rôle de pont entre des sensibilités très éloignées, notamment entre Rome et l’épiscopat américain, parfois critique vis-à-vis du pontificat de François. Son insistance sur la paix, prononcée dès sa première prise de parole, traduit une orientation claire : celle d’un pape universel, pas d’un représentant national.
Fait notable, son élection a été rapidement saluée – voire récupérée – par Donald Trump, qui y a vu un « signe du retour de l’Amérique ». Mais le ton de Léon XIV, sobre et centré sur l’espérance et la réconciliation, laisse peu de doute : il ne sera pas un pape populiste. Sa diplomatie devrait rester fidèle à la tradition vaticane, indépendante des clivages politiques et fidèle à une géopolitique évangélique centrée sur la paix.
Comentarios