La théologie contextuelle est une catégorie générale qui regroupe plusieurs réalités différentes, si bien que l'on en parle souvent au pluriel (les théologies contextuelles). En effet, chaque contexte abordé par le prisme de la théologie donne naissance à son propre courant, sa propre théologie. Dans un premier article nous avons chercher à expliquer et à comprendre les mécanismes des théologies contextuelles en générale. Cette série de 3 petits articles propose d'aborder la théologie contextuelle par des exemples concrets pour en saisir les diverses réalités.
Pour chaque courant nous essaieront de donner des éléments de contexte, d'en résumer les thèses principales et d'en donner l'appréciation du magistère.
Ce premier article aborde ce qui peut être considéré comme la mère de toutes les théologies contextuelles: la Théologie de la libération.
i. Contexte
Le nom de théologie de la libération apparaît en 1968 sous la plume du prêtre péruvien Gustavo Gutiérez. Il développe ses thèses devant la conférence des évêques d’Amérique Latine (CELAM) cette année-là qui s’en approprie une partie. Il formalisera sa doctrine dans un livre paru en 1972 intitulé Théologie de la libération.
Le contexte de cette théologie est la grave crise qui frappe les états d’Amérique latine à la fin des années 60. A ce moment l’Amérique du Sud connaît une croissance démographique colossale que le développement économique ne suit pas (la population passe de 104 millions d’habitants en 1940 à 277 millions en 1970), et le continent devient un des théâtres les plus actifs de la guerre froide. Les américains et les russes déstabilisent les gouvernements locaux par des jeux d’alliance et de pouvoir, entrainant de nombreux pays dans des crises politiques majeurs qui débouchent sur des révolutions (marxistes ou libérales) et des dictatures sanglantes.[1]
Dans ce contexte, la misère et la famine sont monnaies courantes et l’Eglise, très engagée auprès des pauvres, se doit de prendre la parole pour les défendre. C’est dans ce contexte qu’émerge la théologie de la libération. Ses outils pour appréhender son contexte seront donc l’expérience de la misère vécue par les communautés latino-américaine, souvent interprétées à la lumière du marxisme qui est alors dominant dans les universités.
ii. Thèses
Pour Gutierrez, « La théologie de la libération dit aux pauvres que la situation qu’ils vivent n’est pas voulu par Dieu[2] ». Il est donc vain de vouloir parler du Christ, de l’évangile si cela ne s’accompagne pas d’une lutte pour la l’amélioration de leur situation. Le message de libération du Christ doit s’incarner concrètement dans une lutte pour plus de justice économique et sociale.
Ainsi, la lutte contre la pauvreté et pour la justice sociale devient le critère d’authenticité de l’évangile : le chrétien est celui qui lutte pour l’amélioration de la vie des pauvres. « La création d’une société juste et fraternelle est le salut des êtres humains, si par salut nous entendons le passage du moins humain au plus humain. On ne peut pas être chrétien aujourd’hui sans un engagement de libération[3] »
La théologie de la libération insiste sur les dimensions systémiques des mécanismes d’oppressions, il ne s’agit pas seulement de charité, d’aider les pauvres et de leur annoncer le Christ. Il s’agit de s’engager pour eux et avec eux dans une lutte politique qui a pour but d’abattre et de transformer ces structures d’oppression. C'est ce qu'exprime cette phrase délicieuse de Don Helder Camara : « Quand je m’occupe des pauvres on dit que je suis un saint, quand je demande pourquoi ils sont pauvres on me traite de communiste ». Les théologiens de la libération conditionnent l’annonce du Christ à l’engagement politique et social. Cela a conduit les chrétiens, notamment un certain nombre de prêtres et de religieux à s’engager dans des mouvements politiques et syndicaux allant parfois jusqu’à la lutte armée.
iii. Appréciation magistérielle
Pour comprendre la position du magistère par rapport à la théologie de la libération il faut bien avoir en tête que cette théologie n’est pas un tout homogène. Elle recouvre des doctrines et des réalités multiples. La tâche du magistère a été de faire le tri dans tous cela.
La première réponse est assez favorable, les papes successifs sont très sensibles à la situation de l’Amérique du sud et n’hésite pas à prendre la parole pour dénoncer cette situation. Dans son exhortation apostolique Evangeli Nutiandi, le pape Paul VI affirme le lien entre l’évangélisation et l’engagement auprès des pauvres, reprenant certaine thèse des théologiens de la libérations[4]. L’option préférentiel pour les pauvres et les jeunes, qui vient de la théologie de la libération, est reprise par le magistère.
Cependant devant certaines dérives doctrinales et les excès de certains clercs qui s’engagent dans la lutte politique au dépend de l’apostolat, la congrégation pour la doctrine de la foi réagit dans les années 80 par deux textes :
- En 1984, l’instruction Liberatis nuntius « sur quelques aspects de la théologie de la libération » essaie d’opérer un discernement dans les théologies de la libération, montrant sa légitimité et ses fondements bibliques mais condamnant expressément les grilles de lectures marxistes du mouvement et le recours à la violence dans la lutte politique
- En 1986, l’instruction Libertatis conscientia « sur la liberté chrétienne et la libération » propose des pistes théoriques et pratiques pour l’élaboration d’une juste théologie de la libération.
Si certains théologiens de la libération ont été frappé de condamnations en raison de leurs engagement politique (plusieurs comme Miguel d’Escotto ou Frenando Cardenal sont devenu ministres dans des gouvernements marxistes), d’autres grandes figures proches de ce mouvement ont été reconnue par l’Eglise. C’est le cas de Saint Oscar Romero ou encore de Don Helder Camara dont le procès de béatification est en cours.
[1] A ce sujet voir Rodolfo R. DE ROUX, La conférence épiscopale latino-américaine à Medellin https://f.hypotheses.org/wp-content/blogs.dir/3387/files/2019/04/LA-II-CONFE%CC%81RENCE-E%CC%81PISCOPALE-LATINO.pdf [2] Gustavo GUTIEREZ cité par croire.la-croix.com Qu’est ce que la théologie de la libération ? https://croire.la-croix.com/Definitions/Lexique/Theologie/Qu-est-ce-que-la-theologie-de-la-liberation
[3] Idem. [4] Bienheureux Paul VI, Envagili Nutiandi, n°30 : « On sait en quels termes en ont parlé, au récent Synode, de nombreux Evêques de tous les continents, surtout les Evêques du Tiers-Monde, avec un accent pastoral où vibrait la voix de millions de fils de l’Eglise qui forment ces peuples. Peuples engagés, avec toute leur énergie, dans l’effort et le combat de dépassement de tout ce qui les condamne à rester en marge de la vie : famines, maladies chroniques, analphabétisme, paupérisme, injustices dans les rapports internationaux et spécialement dans les échanges commerciaux, situations de néo-colonialisme économique et culturel parfois aussi cruel que l’ancien colonialisme politique. L’Eglise, ont répété les Evêques, a le devoir d’annoncer la libération de millions d’êtres humains, beaucoup d’entre eux étant ses propres enfants ; le devoir d’aider cette libération à naître, de témoigner pour elle, de faire qu’elle soit totale. Cela n’est pas étranger à l’évangélisation. »
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