Homélie pour le dimanche de l'épiphanie, année B
Textes : Is 60, 1-6 ; Psaume 71 ; Eph 3, 2-3a.5-6 ; Mt 2, 1-12
Dans les Evangiles, les récits entourant la Nativité de Notre Seigneur Jésus Christ sont, de loin, les passages de l’Évangile avec la plus grande présence d’éléments merveilleux : apparitions d’anges, étoiles mystérieuses, rêves prémonitoires, conception virginale, mages venus de l’orient lointain… Cela a entraîné le développement de tout un imaginaire fantastique et enfantin autour de la fête de Noël mais fait aussi de notre foi quelque chose de fantastique et d’enfantin, pour ne pas dire d’un peu ridicule.
C’est en tout cas ce qu’une certaine tentation de notre modernité, âge de la raison et de la science, voudrait nous faire penser. Car après tout, nous n’avons plus besoin de ces artifices merveilleux, nous sommes plus malins que cela. Nous n’avons pas besoin d’une religion faites d’anges et de vieux mages, de marches sur l’eau et de multiplication des pains… Ce dont nous avons urgemment besoin, c’est d’une religion qui nous apprend à nous aimer les un les autres. Une religion de bonnes valeurs, de bonne morale. Finalement, la religion du siècle des lumières : une religion bourgeoise qui nous assurera l'honnêteté de nos commerçants et la fidélité de nos conjoints.
Cette religion-là est en train de mourir, définitivement détruite par les vices de ceux qui prêchaient la vertu, et je crois que nous ne pouvons que nous en réjouir car rien n’est plus éloigné de l’Évangile. Il faut dire que les auteurs n’étaient pas encombrés par nos névroses d’Hommes modernes. Ils ne sont pas les défenseurs d’un ordre moral ou d’une puissance terrestre. Ils sont les témoins d’un évènement. Si dans leur texte, réalisme et surnaturel se mêlent c’est précisément car c’est de cela qu’il est question : l’irruption dans notre monde d’une réalité qui le dépasse. La présence au milieu de nous de Dieu lui-même qui se fait l’un de nous. “Nulle part est-il écrit que Dieu s’est fait idée, principe, programme, proposition universellement acceptée ou loi, mais que Dieu s’est fait Homme” (Dietrich Bonhoeffer).
En cela, la fête de l’épiphanie répond à la fête de la Nativité. La Nativité insiste sur la réalité de l’évènement : oui cet enfant c’est Dieu, le vrai Dieu unique et trois fois saint. Oui il est là, en chair et en os, l’un de nous. L’épiphanie, en écho nous parle de la réponse de l’humanité. Et c’est là, que nous avons un devoir de cohérence. Si Dieu vient à nous dans sa chair, s’il s’incarne vraiment, alors notre réponse ne saurait être faite d’idées, de concepts, de mots… Dieu vient dans notre temps, Dieu vient dans notre chair, Dieu vient dans notre vie, c’est donc avec notre temps, notre chair et notre vie qu’il nous faut répondre.
Regardez ce que nous venons d’entendre juste avant l’homélie : l’annonce liturgique des fêtes mobiles que nous célébrerons toutes l’année à venir. C’est la réalité de notre réponse à la venue du Christ qui s’incarne dans le temps que nous chantons. Notre temps comme le lieu concret de notre réponse à la venue du Christ. Chacune de ces fêtes comme un jalon, qui fait de notre temps une offrande à la gloire de Dieu, un signe de notre reconnaissance de sa royauté.
De la même manière, regardons les mages. La naissance prochaine d’un mystérieux roi dans un pays lointain, aurait pu rester une simple note dans leur chronique, un détail dans un coin de page. Mais non, découvrant cela, ils se mettent en route, approfondissent leur recherche auprès de ceux qui peuvent leur donner la véritable connaissance, et enfin, quand ils atteignent l’objet de leurs recherches ils se jettent à ses pieds et l’adorent.
Ces mages me fascinent car ils sont un signe de contradiction majeure pour nous : ils ont reçu moins que nous, ils connaissent moins bien Dieu que nous, mais ils en font plus que nous. Leur foi, leur amour est bien plus grand que le nôtre. Eux n’ont reçu aucun catéchisme, ils ignorent que cet enfant est Dieu, qu’il va donner sa vie pour nous sauver. Pourtant, ils quittent leur pays, endurent les dangers et la fatigue de la route, se mettent à l’école de savants étrangers, et au terme de leur périple se prosterne à genoux aux pieds de l’enfant.
Et nous ? Nous avons reçu une éducation chrétienne, nous savons qui est cet enfant et ce qu’il a fait pour nous. Nous avons même reçu l’Esprit Saint qui nous fait participer à sa vie. Nous avons tout reçu, bien plus que ces mages mystérieux. Notre attitude devrait dépasser la leur en piété, en foi et en amour. Est-ce vraiment le cas ?
Le Christ va venir sur l'autel ! Caché sous l’apparence du pain et du vin, c’est l’enfant de la crèche qui sera devant nous, parmi nous, au milieu de nous. Dieu vraiment présent. Pas un symbole, pas une image, pas le pain du partage et de la fraternité. Non ! Dieu ! Vraiment, réellement, substantiellement présent : corps, âme, esprit et divinité. Alors comment allons nous l’accueillir ? Lui sera présent dans son corps, c’est avec notre corps que nous sommes invités à répondre à sa présence. Allons-nous rester orgueilleusement debout, enfermés dans notre fierté et notre aveuglement ? Ou bien, allons-nous, comme les mages, nous prosterner à ses pieds ? Nous mettre à genoux, comme l’Eglise nous le demande. Allons-nous nous emparer de ce corps, le prendre dans nos mains comme on prend n’importe quelle objet ou nourriture ? Ou bien allons nous le recevoir humblement comme on reçoit le don le plus précieux.
Frères et sœurs, c’est dans notre chair que le Christ est venu. Nous ne sommes pas des anges, de purs esprits. C’est tout notre être, corps et âme, qui est invité à l’adoration véritable. Nous avons besoin de notre corps pour croire, pour aimer, pour adorer. Nous avons besoin que notre foi et notre amour se traduisent par des gestes, par des actes concrets. C’est pour cela que l’Eglise dans sa sagesse nous demande de nous agenouiller lors de la consécration, qu’elle nous invite à recevoir la communion directement sur la langue, à faire des pèlerinages et des processions, à servir les pauvres etc. Car notre corps est ce par quoi nous révélons la vérité de notre âme. Quel couple d’amoureux ne vit que de pensées et de paroles ? Que vaut un “je t’aime” s’il n’est jamais suivi d’un baiser ou d’une étreinte ? Et nous voudrions adorer sans même plier le genou ?
Et la réciproque est vraie, frères et sœurs. Peut-être avez-vous du mal à croire que sur cet autel, devant vous, dans ce tabernacle, c’est Jésus qui est vraiment présent. Alors posez les gestes ! Que votre corps exprime ce que votre âme peine à percevoir. Comme on entretient par les actes la flamme d’un amour qui vacille, on entretient par nos gestes la flamme d’une foi qui faiblit. Posez les gestes, multipliez-les, faites la génuflexion chaque fois que vous passez devant le tabernacle, entrez dans l’Eglise chaque fois que vous passez devant, restez longuement à genoux devant l’hostie, recevez l’hostie à genoux, partez en pèlerinage, servez les pauvres. Alors votre corps se fera l’éducateur de votre âme.
Seigneur, apprends-nous l’adoration véritable. Donne à tes fidèles de reconnaître ta présence au milieu d'eux. Donne-nous la grâce de pouvoir nous tenir à genoux devant toi et de t’adorer pour les siècles des siècles. Amen
Comments